• Centre-ville de Tekna, 2061. Résidence d'Hugo Vanesh

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    Le dîner était toujours un moment tendu, sans exceptions, quand Annie venait visiter son grand frère Hugo annuellement à sa grande demeure, dans le centre-ville de Tekna. Elle ne savait plus vraiment pourquoi elle s'obstinait encore à s'y rendre, c'était devenu comme une sorte de rituel forcé pour elle. Par politesse? Par pitié, ou encore parce que leur mère aurait voulu les voir en meilleure relation adultes? Peut-être un mélange de tout cela. Mais ce n'était certainement pas par amour fraternel; Annie n'arrivait pas à voir autrement que comme une corvée cette retrouvaille familiale, dont elle souhaitait au plus vite se débarrasser.

    Elle sonna enfin, après être arrivée sur le palier de la grande maison. L'air commençait à se rafraichir. En voyant la porte enfin s'ouvrir, elle se força à sourire. Un grand homme à la peau brune, cheveux noirs grisonnants, et bien habillé, se tenait devant elle:

    "Annie.

    -Hugo.

    -Je t'en prie, rentre. Ne reste pas dehors comme ça dans le nuit et le froid."

    Son frère avait arboré le même sourire qu'elle, en l'apercevant. Moins pincé, et avec un semblant de naturel. Mais elle n'y était pas dupe, il était aussi ravi qu'elle. Elle s'avança dans le couloir, déposa sa veste sur le porte manteau de l'entrée, et rejoignit le salon. Comme toujours, il était impeccablement rangé, resplendissant plus d'une ambiance studieuse que luxueuse. Hugo n'était pas radin, non; il montrait volontiers avec sa demeure et ses meubles son importance et sa situation à ses visiteurs. Mais il était plutôt minimaliste, préférant étaler son attrait du pouvoir que sa richesse.

    Minimalisme pouvant se caractériser également par l'absence de préparation pour la réception d'Annie. L'homme n'avait visiblement pas -comme toutes les autres années- misé sur le caractère exceptionnelle de la venue de sa soeur.

    Hugo ne revenant pas de suite la rejoindre, Annie prit le droit de s'assoir sur un des canapés en cuir gris. Elle prit également une grande inspiration, en priant pour que le diner soit rapide, et surtout moins gênant que les dernières fois passées.

    "Je te sers quelque chose?, demanda soudain la voix de son frère, revenant en écho de la cuisine

    - Non, merci... Ne te dérange pas pour moi..."

    En vérité, elle espérait surtout ne pas retarder ainsi l'arrivée du repas fatidique. Il y eut un silence, mais finalement un petit rire rauque désagréable retentit.

    "Me déranger? Allons, si je t'ai invité, c'est bien car ta présence ne le fait pas le moins du monde chez moi!.. Et puis, j'ai mis la main sur une très bonne bouteille, récemment, j'aurais bien besoin que tu me donnes ton avis."

    Annie retint un soupir d'exaspération. Ces faux-semblants d'affection la démangeaient déjà. Néanmoins, elle réussit à garder bonne figure en voyant Hugo revenir, deux verres au vin pourpre en mains. Il lui tendit le sien, puis s'installa dans son fauteuil, en face d'elle.

    Jamais il n'aurait essayé de se rapprocher de sa soeur, et ce, depuis l'enfance. Tout comme il ne lui aurait jamais dévoilé une autre facette que celle sérieuse de l'homme d'affaires qu'il avait toujours été à ses yeux. Habillé simplement mais formellement, il gardait une pose assise très stricte et professionnelle.

    Annie le remercia tacitement pour le verre, et porta la coupe à ses lèvres pour boire un peu. Au moins, Hugo n'avait pas menti sur sa qualité, elle devait le reconnaitre. La jeune femme releva ensuite les yeux: son frère avait posé lourdement son regard noir sur elle, la scrutant attentivement sous toutes les coutures. Depuis combien de temps? Elle l'ignorait. N'importe quelle personne extérieure à sa famille aurait trouvé cet examen silencieux très embarrassant, voire effrayant, mais elle y était habituée. Et surtout, elle savait qu'il ne signifiait qu'une seule chose...

    "Tu voulais me dire quelque chose?"

    Hugo ne cilla pas, mais eut un petit sourire au coin des lèvres.

    "Tina n'est pas avec toi, ce soir?

    -... Non. Je l'ai faite gardée par sa nourrice. Pourquoi? Tu souhaitais voir ta nièce?"

    L'homme fit légèrement osciller son verre entre ses doigts.

    "Évidemment... Un an que je ne l'ai pas vu... Elle a dû énormément grandir, surtout à cet âge-là!"

    Annie sentit une amertume saisir sa gorge. Elle espérait sincèrement qu'il ne jouait pas à la victime, à faire mine d'être éloigné de sa petite nièce, alors qu'en vérité, c'était lui-même, si "occupé" par son travail, qui déclinait les rares fois où il pouvait passer du temps avec elle. Annie détourna légèrement ses yeux noisettes. Le remarquant, Hugo reprit la conversation:

    "Deux ans maintenant!, il eut un autre sourire, Elle a commencé à parler, n'est-ce pas? À marcher, même, sûrement?

    -Les deux..., répondit Annie, les yeux dans le vague, Mais je dois encore plus la surveiller, depuis, à cause de... Tu sais quoi."

    Les yeux noirs d'Hugo semblèrent s'embrumer de compassion et d'empathie, mais il ne dit pas un mot de plus. Tant mieux, pensa Annie. Elle ne voulait pas qu'il se mette à lui reparler de sa situation de mère célibataire, et de son boulot de vendeuse de magasin, qu'il finissait toujours par décrire à l'aide de paraphrases dégradantes.

    "Et si nous allions manger un morceau? Nous continuerons la discussion à table!"

    Le début du dîner fut silencieux. Très silencieux. Seul le bruit des couverts contre les assiettes l'accompagnait. Même pour Annie, habituée à ce passage forcé, il en demeurait très gênant. Elle aurait bien pu lancer une conversation par dépit, mais ce n'aurait été qu'autour de choses futiles, qui se finiraient aussi rapidement à nouveau dans un gros blanc encore plus embarrassant. Et l'attitude d'Hugo à table n'aidait en rien: très poli -Annie aurait dit de son côté coincé-, il mangeait par petites bouchées, sans un bruit. Il semblait comme chez lui, dans ce malaise étouffant. Mais Annie ne tint bientôt plus:

    "C'est... Très bon."

    Hugo releva légèrement les yeux, silencieux, puis posa sa fourchette:

    "Vraiment?... Merci. J'ai essayé de reproduire une recette de Mère.

    -Ha?, Annie haussa un sourcil, Je croyais que... Tu ne cuisinais pas.

    -J'ai décidé de m'y mettre, récemment. Ma bonne a pris congé... Mais le bon côté des choses est que je n'aurais plus besoin d'une femme à la maison pour le faire, maintenant!"

    Il y eut un grand silence.

    "... Boutade, évidemment."

    Hugo reprit un bout de courgette en bouche. Annie se sentit plus désespérée que jamais; il avait réussi à rendre l'ambiance encore plus gênante à ses yeux. Elle sentait que le diner allait être long... Long...

    Ce ne fut qu'au bout de quelques minutes qu'à sa grande surprise, son frère entama une seconde discussion, et cette fois-ci, plus sérieuse:

    "Donc, le problème de Tina ne s'est pas stoppé?"

    Annie releva les yeux de son assiette. Elle fixa son frère, silencieuse, avant de finalement détourner le regard:

    "Non. Mais le docteur m'a affirmé que pour l'instant, son état restait stable, bien qu'à surveiller. Surtout depuis qu'elle peut marcher, comme je le disais. Elle est presque recouverte entièrement de pansements constamment...

    -Je suis désolé, annonça sincèrement Hugo, Ce doit être terrible de voir la petite dans un état pareil.

    -Ça l'est. Mais... Tant que je peux la voir sourire... J'endurerai tout ce qu'il faut avec elle."

    Annie s'étonna elle-même. Pourquoi avait-elle annoncé cela si personnellement à son frère?

    Elle l'ignorait, mais sur le moment, c'était comme si elle en avait eu énormément besoin, en voyant Hugo lui montrer une brèche dans sa carapace. Elle n'arrivait vraiment pas à le cerner, quand il considérait sa nièce. S'intéressait-il vraiment à elle par amour, ou par pitié? Ou peut-être avait-il des remords de ne vraiment pas assez se libérer pour la voir?...

    "Annie. J'aurais peut-être une solution pour ta fille."

    Il avait soudain changé de voix. Plus grave. Plus sèche. Il fixait également plus intensément sa soeur, maintenant... Et bizarrement, elle n'aimait pas ça.

    Sa voix hésita:

    "Comment ça, une solution?...

    -D'après les médecins, Tina a une maladie dégénérative rare, n'est-ce pas?

    -Oui. Et?...

    -Te souviens-tu de ce que tu m'avais raconté, le jour de sa naissance?"

    Comment oublier?

    Le jour où Tina avait été posée contre sa mère, un étrange événement s'était également produit. De grandes ailes de papillons, irisées, étaient sorties du dos du bébé, et l'avait entourée délicatement, contre la poitrine d'Annie. Mais elle avait été la seule à les voir. Les médecins lui avaient répétée qu'elle avait sans doute halluciné, sous le choc et la fatigue du travail.

    Mais pourquoi Hugo reparlait maintenant de ce passage?...

    "Tu devrais confier Tina au centre de recherches, Annie."

    Annie sentit un frisson lui parcourir les membres. Son humeur en prit un gros coup, et elle se sentit encore vasciller.

    "Pardon?..."

    Hugo posa à nouveau sa fourchette, puis cligna finement des yeux. La femme écarquilla les yeux:

    "Emmener Tina au centre de recherches...?

    -Laisse-moi m'expliquer, Annie.

    -Ho, mais je t'en prie!, la voix de la femme était tremblante, Vas-y...

    -Tu vas peut-être me trouver idiot, mais je pense que ta fille... Pourrait être un enfant-monstre."

    Un nouveau frisson tordit l'estomac d'Annie.

    "Tu en as entendu parler... Ce phénomène qui commence à prendre de l'ampleur. Des bébés et des enfants, qui mutent un beau jour en ma foi... Des êtres... Assez particuliers."

    Une vilaine ride de colère parcourut le front de sa soeur.

    "Jusque là, ton histoire d'apparition d'ailes de papillon me paraissait... Soyons honnête, tirée par les cheveux... Mais maintenant, elle prendrait sens, si Tina était en fait en train de subir une mutation génétique! Annie! Elle devient...

    -Un monstre?"

    La voix de la jeune femme avait claqué sèchement. Hugo se tut.

    "Un monstre?, reprit-elle, C'est comme ça que tu voies ta nièce, maintenant?

    -Annie..., il prit son front dans ses mains, Tu sais parfaitement que je ne suis...

    -Qu'un connard?!"

    Hugo n'apprécia pas l'insulte, comme l'indiqua son regard.

    Annie l'admit, elle s'était emportée sur ce coup là. Mais c'était justifié, à ses yeux. Elle aurait préféré finalement que son frère ait oublié cette histoire d'ailes de papillons.

    Elle s'en doutait, depuis un moment.

    Oui, Tina était certainement une mutante, une enfant-monstre, comme c'était à la mode de les appeler à Tekna. Bien sûr, elle n'avait pas voulu y croire, au début. Seulement aux explications des médecins. Mais elle avait revu les ailes récemment, alors elle avait fait des recherches approfondies de son côté. Et Tina avait toutes les caractéristiques d'un bébé mutant. Grand choc sur le moment pour Annie. Et peur, aussi; pas de sa fille, mais de ce que l'avenir allait lui réserver dans la société, après avoir vu des témoignages plutôt alarmants de parents et d'associations. Elle avait essayé de se rassurer, en se disant que pour le moment, peu de gens pouvait voir ses ailes...

    ... Mais maintenant qu'Hugo avait tout décelé, et venait de lui faire une pareille proposition, elle ne pouvait s'empêcher de sentir sa fille en danger. Inconsciemment.

    Hugo était resté très stoïque, de son côté. Certes, il avait cessé de manger, mais il ne cillait plus, très sévère. Annie détestait ça. On aurait dit leur père.

    "Mh, il cligna enfin des yeux, J'imagine que je peux comprendre la réaction à chaud... Mais ma proposition n'est pas contre vous, Annie. Je peux te l'assurer. Seulement pour le bien-être de Tina.

    -Et en quoi confier ma fille à des parfaits inconnus la rendrait plus heureuse?

    -La confier à mi-temps. Réfléchis! Tu es débordée par ton boulot, avec tes horaires impossibles!... Ce serait comme une crèche, mais qui de plus permettrait de faire avancer la recherche sur les enfants comme elle, et qui permettrait peut-être meme de guérir son problème de peau...!

    -Mais quelle bonne idée!, cracha Annie, cette fois en colère, Et après?! Je me rend compte trop tard que ma fille les intéresse et leur revient de droit en tant que cobaye?! Je suis gentille, mais pas naïve, Hugo!!"

    L'homme sembla cette fois lui aussi sortir de ses gonds.

    "BON SANG! Je te parle sérieusement, Annie! Ta fille ne s'en sortira peut-être pas, sans une occasion comme celle-ci, et tu le sais bien! Et puis cesse de peindre la vérité si grossièrement, je connais ce centre, son directeur, et ses employés! J'y suis déjà allé pour le boulot... Et les enfants n'y sont absolument pas maltraités! Alors arrête de penser pour une fois comme une gamine égoïste!"

    Annie eut un rictus mauvais:

    "Égoïste?...

    -Parfaitement. Tu ne penses qu'à ta propre petite personne, en voulant garder Tina près de toi alors qu'elle souffre."

    Annie sentit ses joues lui brûler. Ainsi, il lui faisait bien une leçon sur sa façon d'éduquer sa fille. Lui qui était seul, lui qui ne savait rien de l'amour filial. Savait-il un moment ce qu'était la peur de voir son enfant montré du doigt? La peur de le voir rejeté? La peur d'être impuissant, de le voir menacé et en danger sans rien pouvoir y faire?

    "C'est cette bouche qui me parle, la même qui m'avait suggéré au départ de ne pas garder Tina?"

    Hugo se rassit, très calme.

    "On peut changer, non? J'étais plus jeune, je pensais qu'un enfant pour une mère célibataire avec un emploi instable était plus une contrainte qu'un bonheur...

    -Et tu le penses toujours, apparemment.

    -... Je me suis rendu compte que tu arrivais à t'en sortir. Jusqu'à maintenant...

    -Je t'en supplie! Ne fais pas semblant de t'intéresser à ma vie!

    -Je t'ai toujours soutenu, Annie."

    Il y eut un petit silence. La jeune femme se souvint du jour de son accouchement... Seule à la sortie.

    "Financièrement, siffla-t-elle enfin

    -Quoi? Tu vas me le reprocher?, Hugo leva un sourcil, Il me semble que je continue à le faire, de plus, non? Mais je peux le stopper, si c'est ce que tu souhaites...

    -Je ne parlais pas de ça!"

    Annie se releva, et sortit de table, en se frottant les yeux. Hugo la regarda faire, sans un mot. Elle ne revint qu'un moment plus tard, veste en main. Son frère la dévisagea:

    "Tu n'as plus d'arguments, et tu t'en vas? J'aime les dialogues avec toi, Annie. Ils ne changent pas.

    -Rassure-toi... Les tiens non plus."

    Elle se rapprocha du hall d'entrée.

    "Je ne veux plus jamais que tu parles de ma fille, et encore moins de la façon dont je m'occupe d'elle. Si Papa est mort, ce n'est pas pour que tu le remplaces.

    -Évite de le mêler à cette conversation comme ça, fit-il, voix glaciale, Je pourrais m'énerver.

    -Évidemment. Lui au moins te donnait toujours raison, monsieur parfait.

    -Vraiment mature. Mais je n'en attendais pas plus de toi, étrangement."

    Hugo décida de se lever pour l'accompagner vers la sortie. Une fois dehors, ils ne se jettèrent pas un regard. Hugo, néanmoins, avait arboré un sourire pincé, avec un semblant de naturel.

    "Je te dis à l'an prochain?"

    Annie lui tourna le dos.

    "Peut-être. Mais cette fois-ci, tu pourras être sûr que ce sera sans Tina."


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  • Base des Loups Noirs, un groupe de malfaiteurs à Tekna. Fin de soirée. 2068.

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    Un homme d'une trentaine d'années, imposant et couturé de cicatrices, tournait en rond autour de la table dans la salle qui servait de lieu de réunion aux Loups Noirs. Accoudé contre le mur en buvant un verre, un homme blond plus jeune le regardait faire, amusé:

    "Hé bien? Ça n'a pas l'air d'aller fort, Roger... Qu'est ce qui t'agaces autant?"

    L'homme concerné s'arrêta un instant, soulevant un regard à la fois frustré et désespéré vers celui qui lui avait parlé, puis fronça les sourcils:

    "'C'est le gars qu'on a ramené ici, ce midi! J'ai accepté l'ordre de faire parler ce gus, Mark, mais là je n'en peux plus!"

    Roger reprit ses cercles, le sujet de la discussion lui étant apparemment plus que contrariant. Son supérieur vint poser son verre fini sur la table au centre de la salle; puis le stoppa en lui empoignant l'épaule:

    "Allons bon! Il est si terrible que ça?

    -Terrible?, Roger se tint la tête, Un cauchemar, oui! Une vraie carne, merci bien!"

    Mark paraissait ravi par la description, esquissant un sourire plus grand à chaque adjectif méprisant. Il s'écarta de Roger, en se tenant le menton:

    "Et quand tu l'as amené en bas? La cave l'a pas un peu... Calmé? Refroidi?

    -Ho que non... Vas y qu'il s'est foutu de moi en me disant qu'il trouvait la décoration très mignonne malgré sa simplicité, et qu'il m'a demandé si je pouvais le conseiller sur l'agencement de sa propre base! Du coup, je lui ai bandé les yeux pour qu'il se taise, et arrête ses conneries!"

    Mark se retourna, mine très sérieuse:

    "Et il s'est tu?

    -Non, il a continué!, Roger craqua ses doigts, Alors je l'ai frappé, histoire de lui montrer qui était le maître de la situation... Mais j'ai du me stopper, quand ça commençait à me faire mal aux poings.

    -Il a enfin accepté de coopérer?

    -Il m'a surtout demandé pourquoi j'avais arrêté 'si vite', oui!"

     Toujours pensif, l'homme blond parut lui satisfait:

    "Je vois... Un petit joueur...

    -Petit joueur? J'ai voulu lui faire peur, en sortant un flingue..., Roger écarquilla les yeux, Quand j'ai fais semblant de le recharger, il s'est excité tout seul, et m'a demandé si on allait faire une roulette russe, car il adorait ça!

    -Et il bluff très bien! On est pas tombé sur n'importe qui, dites moi!”

     Mark fit signe à son homme de main de le suivre, et les deux s'engagèrent dans un couloir encore moins éclairée que leur petite salle où ils se trouvaient, auparavant. Si Mark avançait d'un pas assuré, son camarade, pourtant plus massif, était plus réservé:

    "Tu sais, je pense pas qu'il bluff, ton gars... Il est sincèrement timbré!

    -Hm-m, L'homme blond plissa les yeux, Crois moi, j'en ai déjà maté des comme ça, Roger, il mima un revolver posé contre sa tempe, Quand ils l'ont là, ils rigolent moins, d'un coup!"

    Roger n'osa pas contredire les paroles affirmées de son supérieur, mais ne semblait pas pour autant convaincu par ses discours. Arrivé à la fin du couloir, une porte en bloquait l'issue. Hâtivement, l'homme sortit un trousseau de clé depuis sa poche, et en ouvrit l'accès, qui donnait sur des petits escaliers en pierre. Il fixa Mark, hésitant, mais son supérieur l'encouragea à y entrer.

    La cave était froide, humide, et presque dans l'obscurité, si ce n'était pour la vieille ampoule qui l'éclairait avec peine. Sur les côtés, on distinguait des cartons entassés, une commode ancienne, mais aussi à l'opposé une baignoire sur pied sale, remplie d'une eau semblant croupir. Mais ce qui intéressait maintenant Mark, ce n'était pas la pièce. Plutôt ce qu'il y avait... Au centre. Celui qui était assis, ligoté les bras derrière sa chaise, torse nu et ses cheveux roux en pagaille dans son visage.

    "Ha, quand on parle du loup..., l'homme blond tordit un sourire, Creepy."

    L'homme prisonnier, plus jeune que Mark, ne réagit néanmoins pas à la voix. Son visage (ou plutôt crâne) reposait simplement, menton contre sa poitrine tatouée d'étranges motifs noirs. Pensant d'abord qu'il feignait, Mark s'approcha du jeune homme roux, soudain concerné. Il lui releva la tête... Qui retomba mollement sur sa position initiale. Le sang du Loup Noir se glaça, même s'il garda son calme:

    "Il... Est...?

    -Juste évanoui, Mark."

    Il se tourna vers Roger: l'homme aux cicatrices le regardait d'un air las.

    "Je venais de le faire passer par la baignoire, avant de revenir te voir. Mais comme je te l'ai dis: c'est un cinglé! Il s'est amusé de lui même à retenir sa respiration, et il en est tombé dans les pommes! Je l'ai sorti juste à temps, un peu plus et il se noyait, cet abruti!"

    Mark se détendit, esquissant de nouveau un rictus amusé, en passant ses doigts dans la chevelure flamme (et effectivement encore mouillée) de Creepy. Il remarqua même que le prisonnier respirait, ses flancs se soulevant irrégulièrement. En l'inspectant, il put remarquer que son homme de main avait dit vrai: il l'avait bien amoché. Des marques de coups rougissaient sa peau pâle, et certaines blessures saignait d'un liquide brun sombre, supurant autour d'un pus visqueux et noirâtre. Mark les trouvaient particulièrement peu ragoûtante, mais n'en fut pas choqué. Après tout, est ce que le Boss ne l'avait pas prévenu qu'il aurait affaire à un de ces... 'enfants-monstres' en attrapant Creepy? En y repensant, Mark se tourna vers son camarade:

    "... Bien, bien. Tu peux disposer sinon, Roger. Le Boss a dit que c'était à moi de m'en occuper, s'il tentait de résister."

    Roger en réponse ouvrit de gros yeux, dévisageant de manière inquiète son supérieur blond:

    "T'es sûr, Mark? Ce con est un jeunot, mais il pourrait être dangereux, hein...

    -Tant mieux! Ce sera d'autant plus amusant de le remettre à sa place, fit-il en passant sa main sur le crâne, N'est ce pas?"

    Son homme de main eut tout de même un moment d'hésitation, comme se demandant si Mark n'aimait pas un peu trop jouer avec le feu; mais finalement, il se contenta d'exécuter l'ordre, le laissant en tête-à-tête avec le prisonnier. Par précaution, il lui glissa tout de même son arme de poing entre les mains; puis remonta le petit escalier de pierre qui redonnait accès au couloir sombre. On entendit une porte claquer, et un verrou se refermer. Mark soupira. Roger avait beau être intimidant, ce qu'il avait dans les bras lui manquait dans le cerveau: aussi, lui n'avait pas peur de l'homme assis à ses côtés. Creepy avait habilement joué avec les nerfs de son homme de main, c'était tout. Mais Mark était d'une autre trempe; le bluff du squelette l'atteindrait difficilement, même si il ressentait au fond de lui déjà une petite admiration, pour la tenacité de son otage jusque là à n'avoir craché aucun morceau. L'homme blond retira le tissu noir qui bandait les yeux du prisonnier... Avant de le gifler violemment avec le revers de son arme:

    "Allez, réveille toi!"

    Les orbites de Creepy, grandes cavités noires restées jusqu'à maintenant vides, s'éclairèrent alors progressivement de deux petites lueurs immaculées, comme des iris lunaires. Le jeune homme roux, dont le nez absent laissait couler un filet de sang brun, regardait tout autour de lui, l'esprit encore embrumé:

    "...Où est passé l'homme agréable qui m'a si gentiment accueilli tout à l'heure...?, son regard se figea quand il eut dans son champ de vision Mark, le fixant de haut, bras croisés, ...Attends voir un peu... Tu es... Bart, Clark... Mark! C'est ça, Mark! Comme on se retrouve..."

    Le concerné plissa ses yeux glacés en entendant son prénom, sourire acéré:

    "Ça me fait plaisir que tu te souviennes de mon nom, l'enflure.

    -N'est ce pas?, continua en sussurant Creepy, Mais comment oublier le prénom de ce cher chef des Loups Noirs, nos si précieux alliés? Et comment oublier..."

    L'homme roux ne put pas finir sa phrase; Mark lui donna un violent coup de pied à l'estomac. Tombant à la renverse, toujours attaché à la chaise, Creepy toussota son pus noir étrange. Il grimaça également quand le supérieur de la bande ennemie lui appuya son pied sur le ventre, en se penchant vers son crâne:

    "Et tu te souviens de ma gentillesse, quand un imbécile me trahit, aussi?"

    Ses orbites grandes ouvertes et le souffle court, le prisonnier embrassa le regard glacial de Mark:

    "C'est compliqué de tout retenir quand on a plus toute sa... tête, hé, mais je vois que ça a du bon! J'adore les surprises, et j'avais oublié que tu étais quelqu'un de surprenant, mon Mark..."

    Il fut néanmoins coupé par un haut-le-coeur. Mark recula, dégoûté de voir qu'il manquait de lui régurgiter ses fluides sombres et infects dessus, et le releva plutôt. L'homme roux se laissa totalement faire, visiblement éreinté par son séjour dans la cave. Mark attendit qu'il se remette un peu de ses émotions, avant de s'adosser contre un mur, et de l'interroger sérieusement:

    "Je suppose que tu te doutes du pourquoi mes hommes t'ont emmené chez nous?

    -Hm, Creepy aquiesça lentement, reprenant ses esprits, Mais ça me ferait plaisir de le réécouter par ta voix. Elle a cette... pointe d'agressivité qui me donne des frissons dans le bas du dos..., il clôt ses orbites, ... J'adore ça."

    Les dents pinçant ses lèvres fines, le sourire de Mark se tendit. Il était à demi amusé, mais commençait surtout à être frustré par l'homme qui se moquait allègrement de lui, alors qu'il l'avait sous son emprise totale (même si son contrôle de soi lui valait une once de respect aux yeux du Loup Noir). En se craquant les phalanges, l'homme blond se mit à tourner autour du prisonnier, comme un prédateur attendant le bon moment pour saisir la gorge de sa proie:

    "... Essaie de te rafraichir la mémoire, à une semaine environ, mon pépère... Ça y est, les souvenirs remontent, dans ta cervelle putréfiée? Le braquage, le Boss qui accepte que je vous aide, mes gars et moi? Tout se passe bien, donc, mais zut! Petit problème à la dernière minute: que faites-vous, toi et tes bêtes de cirque?

    -Dis le moi, je vois que tu en meurs d'envie..."

    Creepy sursauta. Mark venait sans prévenir de frapper violemment le dossier de la chaise où il était assis. Son visage anguleux s'était froncé tout entier d'un coup, des mauvaises rides de colère lui barrant le front et le nez. Son sourire en devenait effrayant:

    "VOUS VOUS ÊTES AVEC LE FRIC, MAIS EN NOUS LAISSANT LES FORCES DE L'ORDRE SUR LE DOS! ET J'Y AI PERDU DEUX DE MES GARS!, il empoigna Creepy par l'épaule brusquement, Mais ce n'est pas le pire! On avait un deal, 50-50, il me semble? Sauf que, manque de bol, j'ai bien l'impression que notre part se soit... envolée, non?"

    Pour une fois, Creepy sembla vasciller dans la conversation. Ses iris fixèrent longtemps Mark, puis oscillèrent dans le vague, son sourire devenant grimaçant:

    "... Mauvaise nouvelle, ce n'était pas qu'une impression?"

    Grand silence s'ensuivit. Mark se glissa derrière la chaise de Creepy, faisant balader ses mains sur le dossier et puis sa nuque, de manière joueuse.

    "5 secondes."

    L'homme blond rapprocha son visage du sien. Le prisonnier pouvait sentir son souffle tiède contre son cou.

    "T'as 5 secondes avant que je te pète un doigt."

    Creepy se mit à rire jaune, sa voix s'étranglant soudain légèrement dans sa gorge:

    "Hou, mais c'est que j'ai réussi à l'énerver!... Néanmoins, je doutes que ce ne soit rien d'autre que du bluff, mon Markou.

    -Un.

    -Ou peut-être que non, finalement!... Hem...

    -Deux.

    -Doucement! Comment suis-je censé donné quelconques informations si je n'ai le droit qu'à un mot à la milliseconde près?

    -Trois.

    -N'aurais-je pas le droit à une seconde de répit?! La méditation est la mère de ma concentration, après tout!

    -Quatre."

    Le crâne de l'homme roux se crispa.

    Mais il ne se passa rien. Mark avait certes saisi une de ses mains squelettiques, mais jouait juste avec ses doigts, les dépliant, puis les caressant... Avant d'en forcer un à se briser. La douleur terrassa Creepy comme si la foudre venait de la traverser tout entier, et il se replia sur lui-même, en hurlant. Hurlement qui se transforma bientôt en un rire fou, et spasmodique. Il en hoquetait même, entre deux respirations. Toujours derrière lui, Mark le fixait, ses prunelles bleus glacés cruellement amusées:

    "Tiens tiens! Mais il semblerait que le petit squelette puisse souffrir, finalement... Et si je recommençais?"

    Creepy tourna lentement son crâne vers l'homme blond; des larmes s'étaient formées au coin de ses orbites, mais il avait retrouvé son sourire narquois:

    "J...e suis... tout à toi..."

    Mark eut une fausse moue de réflexion, en se tenant le menton, puis revint en face du prisonnier, très froid:

    "... J'ai assez perdu de temps comme ça, et je ne veux pas que mes petites attentions te fasses défaillir une nouvelle fois comme une jeune fille, ses dents grincèrent, Mais crois moi, si je le pouvais, je te ferais m'implorer toute la nuit."

    L'homme roux plissa ses orbites, léchant le sang brun qui lui perlait au coin de la bouche:

    "Ce serait... Avec... Plaisir."

    Mark plissa lui aussi les yeux.

    "... Je crois que mon corps semble aussi adorer que tu y ailles de la manière forte."

    Un coup de poing dans le crâne lui répondit; il en cracha le sang qu'il avait dans la bouche. Mark, fulminant, se rapprocha de lui. Il l'attrapa par la gorge, forçant Creepy à le regarder dans les yeux:

    "TU ME DÉGOUTES... Et tu mens pitoyablement, il lui saisit le menton, Je te trouvais amusant, mais là je n'ai plus envie que d'une seule chose: te déboiter la mâchoire. Tu le sais, ça? Je ne sais pas pourquoi le Boss te veut en vie, mais il n'a jamais dit que je ne pouvais pas te maroufler jusqu'à ce que tu te roules au sol, en pleurant le nom de ta mère!"

    Autant les iris lumineux de Creepy étaient apparus délicatement, autant disparaissèrent-ils subitement. Orbites vides, dans un rire rauque semblant sortir de ses entrailles, ce fut au tour du jeune homme d'approcher sa tête de celle de Mark. L'atmosphère se refroidit subitement, et l'attitude nouvelle de Creepy y contribuait grandement:

    "Hé bien, vas y! Fais-moi souffrir jusqu'à ce que j'en crève, j'attend... Je ne dirais rien de ce que tu veux savoir, de toutes façons, sa voix devint sussurante, Ça doit être frustrant après tout, de devoir te retenir juste car un individu placé plus haut que toi te l'a ordonné, hein? Allez! Pas de témoins, fais ce que tu veux... Tu n'auras qu'à dire que c'était un accident... Ou que les coups sont partis tous seul..."

    Mark relâcha la gorge du prisonnier, yeux soudain écarquillés. Il le dévisagea, silencieux, avant de lui demander froidement:

    "Je peux savoir à quoi tu joues?"

    Creepy abaissa son crâne dans sa direction, indiquant qu'il le voyait, malgré ses iris absents:

    "Mark, Mark... Ne fais pas l'innocent. On a tous des pulsions qu'on retient par savoir-vivre, mais qu'on aimerait assouvir de temps à autre... Ça doit rageant, mais aussi terriblement excitant d'avoir face à soi un homme à moitié nu, vulnérable et ligoté, prêt à tous les sévices possibles, et de ne pouvoir rien faire... Non?"

    L'homme blond devint livide. Il n'avait pas tort. Non! Il ne voulait pas tomber dans la provocation du prisonnier, qui n'attendait justement que ça de lui... Mais c'était exactement ce dont il souhaitait. Mark lutta en vain contre ses envies. Il regardait maintenant Creepy d'un oeil nouveau. Pétrifié, mais éveillé d'un nouvel intérêt, très agréable dans son esprit, comme un jeu dangereux avec un couteau dont la lame pouvait trancher à n'importe quel moment les doigts de celui qui le maniait. Entre la pulsion et la raison... Mark saisit à grandes poignées la chevelure rousse de l'homme, qui lui souriait placidement, et le força à dévoiler sa gorge. Sa voix était devenu tremblotante d'excitation:

    "Est-ce que je peux te poser une dernière question?

    -Mh...

    -Tu n'as aucun honneur? Car tu es vraiment à la limite de me supplier à quatre pattes que je m'occupe personnellement de ton cas..."

    Creepy voulut répondre, mais Mark le fit taire en écrasant de son genou son entrejambe. Le jeune homme roux eut un soubresaut, mais se mordit cette fois la langue pour ne laisser passer aucun cri; des gouttes de sang perlèrent sur sa langue violacée. Il sentit soudain quelque chose de froid contre le bas de sa mâchoire: Mark venait de dégainer son arme, et de l'y positionner avec empressement. Les deux s'embrassèrent du regard intensément, ne cillant pas des yeux un seul instant. Chacun se testait, pour savoir qui tiendrait jusqu'au dernier instant. Creepy sentit la terreur lui nouer l'estomac, en même temps qu'une grande satisfaction lui rougissait les pommettes. Son oeuvre allait faire succomber l'homme blond à l'interdit...

    "Les mains en l'air."

    Le miroir qui avait voilé un instant la réalité de Mark vola en éclats. Il leva son pistolet de la gorge du prisonnier, et se retourna, surpris. Une jeune femme à la peau brune s'était approchée derrière lui, sans qu'il s'en rende compte; il ne la reconnut pas, ses longs cheveux noirs et bouclés lui cachant à moitié le visage. Elle n'était pas armée, mais se tenait dans une posture agressive et menaçante. Mark lui fit face, délaissant Creepy, et pointa son arme sur elle, perturbé de s'être laissé distraire:

    "Qu'est ce qu'elle fiche là, la guenon?! En tout cas, elle a intérêt à dégager avant que..."

    Mark la reconnut; malheureusement, trop tard. Signe, une membre du groupe de Creepy. Il eut juste le temps d'entendre un "FUEGA" retentissant, et la seconde d'après,il était projeté violemment contre le mur de la cave, en atterrissant avec fracas sur les cartons entreposés, qui se déversèrent sous lui. Assommé, il tenta de se relever, mais retomba juste péniblement sur le flanc. La jeune femme s'approcha de lui, très digne; des marques rouges feu illuminaient maintenant sa peau sombre.

    "La guenon vient reprendre son chef, siffla-t-elle, Et accessoirement, te faire la peau."

    La rage la rendait encore plus terrible qu'elle était majestueuse dans sa colère. Ses iris avaient aussi tourné à un ambré très vif, comme des flammes dévastatrices. Mark, à son grand désarroi, ne pouvait plus rien faire contre elle: son arme de poing avait glissé de ses main hors de sa portée, et son dos ne répondait plus. Signe tendit sa paume brillante vers lui; elle allait le tuer!

    "Signe, ma jolie... Laisse le. Viens plutôt me détacher..."

    La jeune femme leva son regard de Mark, en entendant soudain la voix épuisée de son chef. Quand elle remarqua Creepy, ligoté à la chaise, couvert de coups et saignant à maints endroits, elle se précipita vers lui:

    "CHEF! On a tous eu si peur! Vous ne répondiez plus à D.J!... Et puis, je me suis rappelé de l'affaire avec les Loups Noirs, et on est venu à votre secours! Je suis désolée, pardonnez nous, j'aurais du vous empêchez de sortir tout seul, ce matin! J'en prend l'entière responsabilité!"

    L'homme roux aquiesça lentement, en lui souriant -mais cette fois-ci- d'une manière chaleureuse. Ses orbites avaient même retrouvé ses petites lueurs blanches:

    "Allons Signe... David m'avait averti, c'est moi qui aurait dû... Plus me méfier...

    -Vous allez bien?, demanda Signe, soudain inquiète de ses blessures

    -Détache moi. Nous verrons cela plus tard. Il faut que je retrouve mes affaires... Ils me l'ont volé, à mon arrivée..."

    Signe attrapa aussitôt les liens qui retenaient Creepy prisonnier, et les serra en marmonnant des paroles inconnues. Bientôt, ceux-ci fondirent comme du beurre dans ses paumes rougies, et l'homme roux fut libéré. Néanmoins, il était trop épuisé pour se relever seul, et sa camarade l'aida en le soutenant par l'épaule:

    "Allons nous en, chef, le pressa-t-elle, Sound a trouvé vos affaires, en fouinant de partout. Et elle et moi ont pu assommer les hommes de main de cette raclure... Mais ça ne durera pas!"

    Ils s'avancèrent vers la sortie de la cave humide et sombre, mais l'homme roux ne put s'empêcher de regarder derrière lui, une dernière fois. Mark, beaucoup moins fier, était tordu au sol par la peur et la douleur; mais ses yeux bleus fixaient haineusement l'homme qui lui échappait:

    "Vous ne vous en tirerez pas comme ça..., il désigna Creepy du doigt, Toi... Je te jure que je retrouverais..."

    Creepy plissa ses orbites, ses iris brillant plus intensément.

    "...J'y compte bien, mon Mark... On a eu à peine le temps de se connaitre plus... Personnellement. Mais je te laisses ça. Garde la, et je saurais où tu es..."

    Sans plus demander leur reste, les deux individus s'éclipsèrent, laissant le Loup Noir dans l'obscurité de la petite salle. Quand l'engourdissement quitta enfin son bassin, Mark se releva, fulminant. Il ne pouvait pas le croire: le gros lot avait joué de lui, alors qu'il l'avait à sa totale merci quelques minutes à peine auparavant! Enragé, il donna un coup de pied à la chaise maintenant vide, qui se renversa... En faisant voleter un petit bout de papier cartonné. Mark le saisit. C'était une carte noire, comme sortant d'un jeu, où était dessiné dessus... Une petite tête de mort rouge.

    "BORDEL!, il l'écrasa dans sa poigne, Je vais le buter, plus rien à foutre de ce que me dira ce foutu Boss!"


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  • 1ère rencontre entre Creepy et D.J.

    Tekna, vers 2067.

    -

    David osa un pas sur le bord de la plateforme; son pied se trouvait maintenant en équilibre, entre la surface dure du haut de l'immeuble, et le vide. Il resta un moment ainsi, inspirant profondément, jouant avec la sensation de l'air frais contre sa nuque et ses épaules. Poings serrés, il leva son regard à l'horizon. La ville était encore en activité, même s'il était pourtant très tard: les lumières vives et colorées lui picotaient les yeux, et il s'en détourna. Bientôt... Sa respiration s'accéléra. Non, il n'avait pas peur. Il se demandait juste comment cela se clôturerait. Rapidement? Il espérait. Il ne voulait avoir aucun regret. En closant les paupières, il essaya d'imaginer l'obscurité qui suivrait. La motivation lui revint: il posa le second pied près de l'autre, et décrispa ses doigts moites, collés à ses paumes.

    "La vue est belle?"

    David rouvrit les yeux. Sans ciller, il resta silencieux. Quelqu'un? Il avait été pourtant seul sur le toit, quand il avait pris sa décision quelques minutes auparavant. Il ne se retourna pas, mais ne bougea pas de sa position non plus, oscillant entre la surface et le vide. Il entendit un petit rire rauque, et des bruits de pas se rapprochant de lui.

    "Qui êtes-vous?" murmura-t-il enfin, sans émotions

    La personne arriva à sa hauteur, et se positionna également à moitié dans le vide, sans trembler. A en juger sa grande taille et sa stature, il déduisit qu'il devait être un homme, jeune en entendant sa voix. Il ne leva pas le regard pour dévisager le nouveau venu; il resta plutôt concentré sur l'horizon, et sa respiration qui s'accélérait de nouveau.

    "On me surnomme Creepy, finit par répondre l'inconnu, ça te convient, comme réponse?

    -Je m'en fiche, honnêtement."

    Creepy resta silencieux, amusé par le ton cinglant de l'adolescent, et l'imita, lui qui fixait à présent le sol sous eux.

    "C'est bien haut ici, dis moi.

    -14 étages, siffla froidement David

    - Ça serait vraiment un comble de trébucher maintenant, hein?"

    David fronça les sourcils, et regarda enfin l'homme à ses côtés en détails. Il était dans une pose décontractée, les bras dans le dos, et penchait un visage (ou plutôt un crâne blanc immaculé) souriant au garçon; ses orbites avaient même une sorte de lueur amusée, en regardant David. Il portait également un costume noir et blanc simple -mais élégant- et un petit haut de forme noir.

    "Vous ne pourriez pas vous en aller?" finit par lui demander le garçon, agacé de sa présence

    Creepy releva la tête, perdant un peu son sourire. Il remit en place une de ses longues mèches rousses, avec un doigt pâle et squelettique, l'air peiné:

    "Ho...Excuse moi. Je ne pensais pas gêner... Mais si c'est le cas." répondit-il, en haussant les épaules

    Sous le regard de David, il fit volte-face, s'éloignant du rebord vertigineux, et quitta bientôt le champ de vision de l'adolescent. Ce dernier soupira, en fermant à nouveau les yeux. Reprendre sa respiration. Détendre ses muscles. Se concentrer sur l'air qui caresse son visage...

    "Dans tes dernières volontés, tu avais choisi l'incinération, ou le simple enterrement?"

    David se retourna.

    Creepy n'était pas parti, et le fixait d'un air étrange; à la fois innocent et intéressé. Il était seulement à quelques mètres de lui.

    "C'était pour savoir où chercher, demain. Je n'ai rien de prévu, alors..."

    David cette fois recula de quelques pas du bord de l'immeuble, la mine noire et les poings fermés:

    "A quoi jouez-vous?

    -Moi?, fit l'homme en se désignant du doigt, A rien, justement ce soir, et c'est bien le problème... Je devais aller au casino, mais ça a été annulé au dernier moment. Et je n'ai pas un rond, même pas pour aller boire dans un petit bar sympa! Dommage, hein, j'aurais pu t'inviter en plus..., son regard s'éclaira soudainement, J'y pense, tu aurais bien un petit quelque chose toi, non? On pourrait faire connaissance autour d'un verre, ce serait plus convivial que de rester sur le toit de ce HLM pourri,..."

    Le regard sombre de David le fit taire soudainement. Creepy eut un soupir:

    "Ha...Ha. C'est vrai, je gêne... Pardon pardon. Mais je m'en vais, jeune homme dont j'ignore le nom! Porte toi bien, il se reprit en le voyant près du rebord, enfin..."

    David vint rejoindre sa position initiale sur le rebord de la plateforme, troublé. Qu'est ce que ce Creepy était énervant! Il voulait juste finir tout ça calmement, et seul. C'était trop demander? On aurait dit qu'une force mystique voulait l'en empêcher. C'était la première fois qu'il avait enfin l'impression d'avoir en main SA propre vie. Il avait le droit de faire ce choix, si c'était ce qu'il souhaitait, non?

    "J'espère qu'il n'y avait pas de fautes d'orthographes dans ta dernière lettre! Imagine que tes parents se mettent à rire si tu as écorché des mots..."

    David serra les dents, lèvres tremblantes. Ses yeux le picotaient à nouveau, et commençaient à s'embuer.

    "C'est important, la dernière impression. J'espère que tu n'as tout de même pas été trop dur, dans ton choix des mots. 'Papa, Maman, en connaissance de votre passion pour les crêpes, j'ai décidé d'en devenir une. Adieu!'

    -CA SUFFIT!!!"

    L'adolescent tomba à genoux, une boule dans la gorge. Sa vision se floutait, de grosses larmes venaient s'écraser sur ses joues, et il reniflait bruyamment entre deux hoquets:

    "Partez! Cassez vous!! Je ne sais pas ce que vous me voulez, mais je ne changerais pas d'avis, alors cassez vous!!!"

    Néanmoins, l'inverse se produisit. Creepy se rapprocha de lui, en restant tout de même un peu distant. Misérable, David leva ses yeux bleus-glacés vers lui:

    "Qu'est ce que ça peut vous foutre, à la fin, que j'en finisse? Ce n'est pas comme si quelqu'un dans cette ville allait me regretter, et vous ne me connaissez même pas, de toutes façons...

    -Ho, je n'en doute pas, sussura-t-il, Je suis juste curieux, c'est tout. Il faut un sacré courage pour vouloir chuter depuis là-haut... D'ailleurs, compte-tu garder les yeux fermés? Ça fait moins peur, mais on ressent plus les sensations, parait-il..."

    Creepy s'était maintenant approché du vide, sa chevelure rousse soulevé par le vent, rendue encore plus éclatantes avec les lumières nocturnes. Il eut un silence, avant de murmurer:

    "Ça sera du rapide, si ça peut te rassurer. Ta nuque ou ton crâne se brisera d'une façon si nette que tu ne sentiras rien, et partira dans les bras de Morphée immédiatement, pour toujours. C'est quand tu le veux et comme tu le veux, maintenant. La poussière et les asticots n'attendent juste plus que toi."

    Creepy entendit alors un pleur lamentable, et des sanglots effrénés derrière lui. Perdant son air amusé, il se retourna: David s'était recroquevillé au sol, s'étouffant dans la douleur qu'il avait en vain tentait de contenir jusque là. Apparemment, la dernière phrase de l'homme roux semblait l'avoir achevé sur place. Creepy vint se poster devant lui, l'air grave. Le garçon n'essayait plus de le faire partir, maintenant. Il le fixa un moment, regardant ce petit être désespéré se vider enfin de tout ce qui l'avait blessé, son corps agité de gros soubresauts. Il s'assit à ses côtés, attendant. Attendant qu'il se calme? Attendant de pouvoir parler à nouveau? Attendant juste, le regard perdu dans l'horizon. Les cris de David finirent par s'estomper, de plus en plus, pour devenir des plaintes gémissantes, puis des hoquets silencieux. Les deux hommes restèrent ainsi un bon moment, sur le toit de l'immeuble, un point dans l'immensité de la ville sombre et pourtant toujours agitée et colorée.

    "Qui êtes-vous?" finit par redemander David à son ainé, qui avait sorti entre temps une cigarette de ses poches

    Creepy ne lui répondit pas tout de suite, allumant juste sa cigarette, et en aspirant longuement la fumée.

    "Juste un pauvre type de Tekna..., fit-il tandis qu'il expirait par son nez absent des nuages gris, Comme toi, j'imagine.

    -Pauvre?" grimaça David, en louchant sur le costume noir et blanc

    Creepy remarqua son regard, et eut un petit rire:

    "Hé hé... On va dire que mes activités ne sont pas vues comme assez 'légales' pour être considérées comme un vrai métier... Mais je boucle assez bien les fins de mois, c'est vrai."

    David resta silencieux, ne posant pas plus de questions. Il passa la manche de son sweat-shirt contre son visage mâte, pour sécher les dernières larmes collantes. Il s'assit ensuite plus correctement, et regarda également dans le vague.

    "Tu as changé d'avis, finalement?"

    Creepy le fixait de nouveau, avec un certain intérêt. L'adolescent soutint son regard:

    "Réflexion faite... J'ai besoin de réfléchir. Je ne sais pas si je vais renoncer, mais je me suis précipité, et rien réfléchi du tout."

    L'homme-squelette eut un petit sourire, en continuant de fumer. David détourna le regard. Il n'avait pas prévu de rester, et il était perdu. Il ne savait même pas pourquoi il avait décidé de rester soudainement. Il ne savait plus quoi faire.

    "...Si ça vous intéresse, je m'appelle David, finit-il par murmurer, Mais je ne sais pas si ça vous en aurez quelque chose à...

    -David?, le coupa pourtant aussitôt Creepy, C'est mignon. J'aime bien..."

    Le silence revint. Le garçon découvrit alors quelque chose, en fouillant la poche de son sweat-shirt; il y avait quelques pièces, et un billet. C'était ses économies, qu'il avait pris avant de fuguer, quand il pensait encore qu'il allait en avoir besoin... Il tira le billet, et le tendit à Creepy, qui le prit, surpris.

    "J'ai bien un petit quelque chose, finalement... Prenez le, si vous voulez toujours aller dans votre bar. De toutes façons, je ne compte plus l'utiliser."

    Mais l'homme lui saisit alors la main. Elle était froide, et David eut un frisson.

    "Bien sur, que je vais aller à ce bar, mais mon offre marche toujours alors.... Je t'invite!"

    Il eut une pause.

    "...Enfin, à part si tu...

    -Non, l'adolescent sortit les dernières pièces de sa poche, C'est moi qui vous invite.

    -Ho! D'accord, Creepy parut ravi et amusé, Si ça peut te faire plaisir... Je ne vais pas refuser! Mais permet-moi au moins de te conseiller, j'ai les meilleures adresses de la ville pour nous... David."

    L'adolescent parut avoir un petit sourire.

    "C'est d'accord, Creepy."

     


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